Rencontre avec Véronique de Soultrait, créatrice de Haute Décoration
Je
franchis le seuil de l’atelier de Véronique de Soultrait, 162 rue Vendôme à
Lyon et c’est un sourire qui m’accueille!
Le décor est planté dès la première
pièce : un univers emprunt de matières et de couleurs naturelles,
d’élégance et de raffinement. A l’étage, Véronique me dévoile l’antichambre de
ses créations à base de cordes, qualifiées de « haute décoration »
par les spécialistes.
Nous nous installons sur la mezzanine et la discussion s'engage sur un fond musical et une agréable odeur d'encens.
Véronique m’explique qu’après une formation aux Beaux-Arts,
elle a tout d’abord réalisé des décors peints. Puis, son âme de chineuse
l’ayant rattrapée, elle s’est tournée vers la création textile et plus
précisément vers une collection de linge de maison réalisée à partir de
couvre-lits anciens au crochet.
Souhaitant faire évoluer son travail, elle
s’est orientée ensuite vers le macramé et ses mystères du tressage. Elle
réalise ainsi une collection de coussins grâce à cette technique qui ne
rencontre malheureusement pas le succès escompté. Elle rebondit alors
immédiatement en proposant des décors muraux composés de modules faits de corde
entrelacée, collée et déclinée à foison selon les teintes, les formes et à
partir de techniques qu’elle ne cesse de faire évoluer.
C’est le déclic et cette
fois le succès immédiat suite au salon « Révélation » au Grand Palais
à Paris qui l’a propulsée. Depuis, les grands décorateurs la sollicitent pour
des projets haut de gamme, friands de nouveautés et de son savoir-faire. Avant de
commencer à répondre à mes questions, elle me révèle d’ailleurs avec humilité
qu’elle vient de recevoir ce matin-même un projet pour un restaurant du chef
Alain Ducasse… C’est bien la preuve de son talent et de sa renommée
grandissante.
Rencontre avec une femme passionnante
et passionnée, simple, généreuse et spirituelle.
En tête à tête
Pourriez-vous tout d’abord expliquer le « process » de vos
créations ? Partez-vous de croquis, de maquettes, de découvertes
fortuites ?
Je commence toujours par un
croquis. Mon ancien métier de peintre et d’enseignante d’arts plastiques me
permet de passer facilement au dessin.
"tout peut être
beau
selon la façon dont on le regarde"
Vous parvenez à transformer des matériaux simples comme la
corde ou le chanvre en un produit fini luxueux tel le carrosse de Cendrillon le
soir du bal… Avez-vous une fée comme marraine ? Au moins une formule
magique à nous dévoiler ?
C’est le regard qu’on y met.
Finalement tout, que ce soit une pâquerette ou une personne, tout peut être
beau selon la façon dont on le regarde ou la manière dont on le transforme.
J’ai beaucoup de chance, je ne pensais pas me retrouver si vite parachutée dans
ce milieu du luxe qui n’est pas du tout le milieu auquel j’appartiens
personnellement dans ma vie privée. Je suis quelqu’un qui aime les choses
authentiques, vraies et sobres. Ce luxe me donne une vraie liberté car,
financièrement, il n’y a pas de limites mais ce n’est pas du snobisme de ma
part. Je suis de la campagne, de l’Allier et suis attachée à des valeurs
paysannes.
Cela me fait penser au courant
artistique contestataire et poétique de l’Arte Povera qui sublime le banal avec
par exemple Giuseppe Penone qui travaille la terre, le bois…
Oui, la nature est tellement généreuse, nous sommes reliés à elle. A la limite si je peux utiliser les
choses qui sont le moins artificielles, ça fait partie d’une éthique, c’est
comme pour l’alimentation, les choses les moins transformées possible. Je pense
que le vrai luxe c’est la simplicité…
On vous sent attirée par les matières naturelles, brutes, simples finalement et
vos produits finis sont des pièces luxueuses destinées à des projets
d’exception. Comment expliquez-vous cette ambivalence ?
Ce qui fait rêver les gens qui ont
de l’argent, ce n’est pas forcément les choses sophistiquées. Il faut leur
apporter de la poésie, du rêve. Les choses « bling-bling » ils
peuvent se les offrir certes, mais si elles n’ont pas d’âme, ils s’en lasseront.
Chez ces individus qui peuvent paraître blasés de beaucoup de choses, si on
arrive à apporter un petit supplément d’âme dans leur intérieur, c’est cela
qu’ils vont aimer. Si, à travers mon travail, je peux faire jaillir de la beauté, de la joie et un peu de mon âme, alors c'est la plus belle des récompenses!
"J’aime autant la
rigueur de Soulages
que la légèreté de Matisse."
Certains de vos décors renvoient inévitablement aux œuvres de
Pierre Soulages et ses Outrenoirs. Comme lui vous avez choisi l’abstraction. Il
explique ne pas avoir l’intérêt de passer par le détour de la représentation et
dit « Je ne représente pas. Je présente. » Partagez-vous cette
approche dans votre travail ? Que voulez-vous nous présenter ?
En général, j’ai des formes symboliques qui me sont chères. Je
travaille beaucoup avec le cercle, symbole de l’infini. C’est une forme
apaisante, qui n’a pas de début ni de fin. L’aspect spirituel est pour moi très
important. Effectivement, la représentation n’est pas nécessaire et est presque
quelque chose d’anecdotique pour moi. Je suis dans des formes simples,
primaires et du coup plus efficaces graphiquement. Mon travail repose sur un
jeu de formes et de couleurs, une réflexion sur l’espace. On peut avoir une
forme végétale pleine de subtilité mais la géométrie, on la retrouve aussi dans
cette nature : si on regarde une fleur au microscope, une graine, nos
propres cellules, tout est très géométrique. Il y a un ordre dans la nature
très établi : dans tout ce qui est vie, il y a de la géométrie.
"Il y a un ordre dans la nature
très établi"
Autre source d’inspiration je crois, en tout cas autre reflet
inévitable : Sonia et Robert Delaunay et leurs cercles concentriques.
Revendiquez-vous cette influence ? Seriez-vous tentée un jour comme eux
par cette explosion de couleur et de joie ?
Oui je revendique cette influence
et j’adore la couleur ! La couleur c’est une joie. J’aime autant la
rigueur de Soulages que la légèreté de Matisse. L’un ne va pas sans l’autre. Le
noir renvoie la couleur et la couleur renvoie au noir. La vie c’est les deux.
Mais plus on limite la palette et plus on va vers l’essentiel.
" Je pense
que le vrai luxe c’est la simplicité…"
Vous êtes un exemple même de la définition des
« Beaux-Arts » incluant plusieurs disciplines artistiques à votre
actif. Comment passe-t-on du décor mural au linge de maison et du linge de
maison au tissage de fibres naturelles ?
J’aime l’Histoire de l’Art, les Arts décoratifs, tous les
objets. Je fais feu de tout bois ! (rires) Il y a un fil conducteur
interne dans ma création ; c’est toujours la même histoire qu’on raconte.
Quand j’étais aux Beaux-Arts, j’avais 18 ans, je faisais déjà ça finalement,
différemment certes mais déjà ça. C’était déjà la même recherche graphique. Je
pense que dans sa vie, on ne fait que refaire et qu’affiner sa recherche. Elle
peut utiliser des médiums différents. Quand je faisais des décors peints,
c’était plus alimentaire qu’autre chose mais j’avais plaisir déjà à reproduire
des frises à l’infini, des formes géométriques. On peut avoir l’impression de
l’extérieur qu’on saute d’un truc à l’autre et que ça n’a pas de rapport mais
ça en a toujours un. C’est tout à fait logique : les Beaux-Arts et le
dessin textile m’ont amenée au décor peint, les motifs m’ont amenée au crochet,
le crochet m’a amenée au macramé et le macramé à la corde…
Le précepte « Less is more » est souvent gage
d’élégance et de raffinement en matière de décoration. Vos réalisations en sont
la preuve. Chez vous, appliquez-vous également cette philosophie dans votre
intérieur ?
Dans l’absolu, j’aimerais (rires),
mais je n’y arrive pas ! Je suis une passionnée d’objets et de chine et
quand je vois une poterie, un textile, un lampadaire, une chaise, j’aime tout,
j’en ai besoin car je m’en nourris. C’est mon univers. J’ai besoin de tous ces
objets autour de moi pour créer. Que ce soit leur forme, leur matière ou ce qui
en émane, ça apporte des inspirations. Il n’y a pas de scission entre mon
univers, ma vie personnelle, mon lieu de travail, ce que je fabrique. Tout est
imbriqué l’un dans l’autre. Du coup, mon univers, hélas, n’est pas très
épuré ! Je suis trop gourmande de la vie pour réussir à me résoudre à
avoir un intérieur où rien ne dépasse. Autant je peux suivre un mode de vie
ascétique au niveau spirituel et moral, autant les objets sont mes compagnons
et le resteront.
On qualifie votre travail de
« haute décoration ». Pensez-vous être tentée un jour par la haute
couture ? La haute voltige ?
Je ne sais pas ce que je ferai
demain. J’essaie de vivre dans le présent. On est dans le « faire »
ou dans l’ « être » et c’est rétrospectivement qu’on peut
analyser le chemin parcouru. Peut-être que je ferai autre chose comme de la
céramique mais pour le moment mon moyen d’expression c’est la corde… mais il
peut évoluer.
"C’est vraiment l’esprit dans la matière"
En son for intérieur
J’ai demandé à Véronique de
Soultrait d’apporter un objet de décoration qu’elle affectionne
particulièrement. Le voici.
Pourquoi
cet objet et pas un autre ?
C’est
un petit vase en grés émaillé réalisé par le céramiste Daniel de Montmollin,
frère fondateur de la communauté de Taizé. J’ai eu la chance de le rencontrer
dans son atelier. Il travaille avec les matériaux locaux qui sont autour de lui
et fait des oxydations avec des cendres de végétaux. Il se sert de Mère Nature
pour produire des formes sobres. J’aime cette part de hasard qui est donnée par
la cuisson et des oxydes. C’est un travail spirituel, très tactile faisant
appel aux sens. C’est utiliser la ressource de notre Terre pour en faire
quelque chose qui dépasse l’objet lui-même. C’est vraiment l’esprit dans la matière.
En rafales
Si
je vous dis MATIERE, vous me répondez ? JEU
Si
je vous dis DESIGN, vous me répondez ? CHIANT
Si
je vous dis INDE, vous me répondez ? JOIE
Si
je vous dis REVER, vous me répondez ? TOUJOURS
Si
je vous dis DEMAIN, vous me répondez ? ON VERRA
J'adore
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire.
SupprimerTrès bel article ! Agréable à lire où l'on reconnait vraiment la personnalité et le talent de Véronique ! Bravo. Delphine (VDC)
RépondreSupprimerMerci c'est gentil. La rencontre avec Véronique fut agréable et enrichissante.
SupprimerMerci pour ce portrait d'une Belle personne au sens propre comme au sens figuré . Ses créations sont à son image : Uniques . Nous avons hâte de connaitre la suite de ses aventures .
RépondreSupprimerJe partage tout à fait ce qualificatif de Belle personne. Il y a d'ailleurs un peu de son âme dans chacune de ses créations.
SupprimerTrès beau portrait.
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