Rencontre avec Marie Levêque, céramiste par nature

J’ai découvert le travail de Marie Levêque lors d’un reportage. Il s’agissait d’un impressionnant décor mural en guise de tête de lit réalisé en terre cuite pour l’une des chambre de la maison visitée. Je n’avais jamais rien vu de tel. A ce moment-là, je me suis jurée de faire en sorte de rencontrer la céramiste à l’origine de cette création. C’est maintenant chose faite ! Après avoir égrainé une multitude de petits villages du Perche, tous plus ravissants les uns que les autres, je suis arrivée chez elle, dans sa maison-atelier à Condé-sur-Huisne. Nous avons discuté, elle m’a expliqué son parcours, son travail, fait visiter son atelier.

Issue des Arts décoratifs, elle s’est d’abord spécialisée en graphisme et en photographie. Elle s’est illustrée dans un premier temps dans le domaine des arts de la table, que ce soit sous l’effigie de sa propre marque ou de celle par exemple de la Maison Bernardaud. Elle a repris ensuite ses activités de graphiste tout en développant un atelier d’arts plastiques et des projets éditoriaux. Au même moment, elle a découvert le modelage dans des ateliers de quartier. L’appel de la terre fut plus fort que tout et quelques temps plus tard, Marie a installé son premier atelier. Le début d’une belle aventure qui l’a portée à créer des céramiques pour des projets d’architecture d’intérieur.

Elle réalise des luminaires, des « vases-sculpture », des tables et des bijoux mais ce qui la démarque des autres, à mon sens, c’est la réalisation de ses plaques en céramique XXL qui font rentrer la nature dans nos intérieurs sous forme de crédences, de bas-reliefs, de frises, que sais-je encore…

Rencontre avec Marie Lévêque, céramiste par nature.

En tête à tête

  1. Vos décors muraux me font irrémédiablement penser aux planches illustrées sur les sciences et la Botanique, tirées de l’Encyclopédie du XVIIIème siècle de Diderot & D’Alembert. L’appellation « céramiste-botaniste », dans la lignée de cette grande Histoire Naturelle, vous convient-elle ?

J’adore ! C’est toujours très difficile de se définir. Je suis effectivement fan des planches botaniques, d’ailleurs je suis entourée ici d’herbiers. J’adore les plantes mais je n’ai pas la prétention de me définir comme botaniste, mais j’ai été très flattée pour autant par cette appellation.

2. Les plaques que vous créez en impression offrent des motifs d’une incroyable précision qui dialoguent entre eux. Tels les herbiers de mon enfance composés de pâquerettes, de myosotis et de boutons d’or, elles se déclinent à l’infini laissant une empreinte poétique pérenne. A quelle fréquence allez-vous faire la cueillette de vos sujets ?

    Je fais la cueillette quand j’ai besoin, tout simplement. Moins en hiver, inévitablement. D’ailleurs pour certains projets, j’attends que le printemps revienne pour aller cueillir les fleurs.Par exemple, dans mon dernier projet, je suis allée dans le propre jardin de la personne en question pour apporter plus de sens au projet.

    3. Vos décors en bas-reliefs font écho à ceux de la Grèce antique qui mettaient les divinités à l’honneur ; à ceux du Moyen-Âge où le décor végétal telles la fougère ou la vigne ornait les chapiteaux des cathédrales ou les fleurs en marbre du Taj Mahal. Quelle dimension symbolique donnez-vous à vos décors aujourd’hui ?

    Je suis fascinée personnellement par toute cette partie de l’architecture. D’ailleurs, dans l’atelier j’ai travaillé pour certaines pièces à la manière des chapiteaux. Pour cela, j’ai fait une retraite de trois jours à l’Abbaye de Senanque. J’ai pu observer minutieusement tous les détails de jour comme de nuit. Il n’y a pas vraiment de symboliques à proprement parler pour la plupart de mes planches, à part celle de célébrer le végétal. En revanche, j’ai pu parfois donner une dimension plus profonde à ce que je réalisé. Je pense à cette crédence réalisée dans la maison d’une famille pour laquelle j’ai demandé à chacun de ses membres de choisir un végétal qui lui correspond. La symbolique devient alors intime.

      4. Avec vos créations, vous donnez un coup de projecteur sur l’infiniment petit, sur ces minuscules détails qui n’en sont pas. Serait-ce pour vous un fantasme que de devenir une Liliputienne ou une Minimoys et pourquoi ?

        Pour être honnête, je ne me suis jamais posée cette question mais ce doit être fascinant ! C’est vrai que maintenant avec nos téléphones on peut agrandir très facilement les détails d’une photo pour en faire une macro. Mais souvent je m’imagine avec le regard d’une enfant et tous les changements d’échelle et de perception que cela suppose. Finalement cette question me donne des envies…

        5. Dans votre atelier du Perche, vous adorez mettre les mains dans la terre blanche ou la terre de Sienne, la modeler, la pétrir, initier ainsi une vraie chorégraphie qui met plus à l’honneur les ronds de bras que les ronds de jambes ! Quelle est votre étape préférée dans la création au contact de la matière?

          Modeler, sans hésitation! Je pourrais modeler pendant des heures et des heures sans me lasser. C’est un vrai régal. J’aime la matière, le relief, les textures, les formes. J’aime moins faire les plaques! C’est un travail hyper physique, d’autant que je travaille des grandes plaques qui sont très lourdes. Mais c’est la base de presque toutes mes créations.

          6. L’Art Nouveau, ce courant artistique de la fin du XIXème & du début du XXème siècle s’appuie sur l’esthétique des lignes courbes et met comme vous en avant les motifs floraux. Vous vous sentez plutôt l’héritière de la silhouette gracile et harmonieuse des meubles de Guimard, la marqueterie de verre de Gallé, les entrelacs végétaux de Morris, l’escalier floral des Galeries Lafayette de Majorelle ou les bijoux extraordinaires du bestiaire de Lalique ?

            Je les aime tous. C’est un mélange global de toutes leurs créations qui me plait. Ils ont tous la même inspiration mais la déclinent sur des supports différents. Donc je ne peux pas choisir. Moi-même avec la terre, je travaille le sujet végétal sur encore un autre support. Je m’inscris modestement dans leur lignée.

            7. Vous êtes fan du photographe allemand du XIXème siècle Karl Blossfeldt et de son jardin merveilleux de la nature que l’on peut définir comme un herbier photographique. Qu’est-ce qui vous touche tant dans son travail tout droit sorti de sa chambre noire ?

              Ce que j’aime chez lui, c’est son œil, sa composition. C’est toujours ultra graphique, très pur, très minimaliste, très contemporain finalement. Je m’inscris dans ce côté minimaliste. Il a une façon de capturer, de mettre en avant les formes, les lignes. Il a travaillé avec un autre photographe pour réaliser une commande de catalogue de végétaux dans un but pédagogique pour l’école des Beaux Arts dans le but d’enseigner les Arts décoratifs. Son travail a ensuite inspiré les motifs du fer forgé des balcons ou autres compositions. Je n’ai aucun problème à dire que je travaille à partir de ses modèles inspirants en les réinterprétant.

              8. A quoi ressemblerait votre jardin secret fantasmé ? Votre cabinet de « curieuses idées » ?

                Dans mes rêves, je voudrais une sorte de jardin d’Eden, à la fois nourricier et ornemental; avec l’idée de pouvoir presque tout manger dans ce jardin, composé d’une multitude d’espèces différentes, l’ensemble agrémenté de fleurs bien sûr en toutes saisons. Des fleurs, des fleurs, des fleurs, du mois de mars au mois de novembre ! J’adore les jardins anglais mais je ne veux pas que ce soit trop « léché » , juste de l’abondance.

                9. Votre répertoire se trouve dans la nature. Vos créations sont éprises de simplicité et se contentent de composants plastiques épurés. Cette description s’apparente au courant artistique de l’Arte Povera. A travers vos œuvres, avez-vous le sentiment, comme Giuseppe Penone avec l’empreinte de son corps dans la terre, de « figer dans le matériau la fluidité fondamentale du temps » ?

                  Non pas nécessairement car je n’aime pas le temps qui passe. Je ne préfère même pas y penser. J’aspire juste à figer la Beauté. Lorsque je me balade en vacances ou en week-ends, je ne cesse de tomber en pâmoison devant des fleurs nouvelles dont j’ai juste envie d’immortaliser la beauté simple. Ma dernière cible a été des trèfles géants qui m’ont fait halluciner. Ils étaient trop beaux !

                  1. Votre approche de la céramique est tout simplement poétique, une véritable ode à la Nature. Quel est pour finir votre poète ou artiste préféré ?

                  Plus qu’un poète, j’adore la poésie du peintre Magritte et son approche de l’absurde. Les Lalanne me font également rêver dans leur liberté de création.

                  En son for intérieur

                  Dévoilez ici votre objet déco préféré (avec une photo) et expliquez s’il vous plait pourquoi cet objet et pas un autre, ce qu’il vous raconte…

                  C’est tellement dur de répondre à cette question! J’ai une passion pour les objets et une âme de collectionneuse depuis toujours. C’est le cocktail fatal, je suis attachée à chacun. Pas pour leur valeur, la plupart du temps, ils n’en n’ont pas. Leur valeur est celle qu’ils ont à mes yeux. Parce qu’ils m’ont touché par leur beauté, leur patine, leur histoire, parce qu’ils sont la mémoire d’un savoir-faire, ou pour tout souvenir qu’ils représentent, d’un lieu, d’un moment, d’une personne.

                  Alors si je dois absolument donner une réponse, ça sera ce pichet en forme de chouette.
                  Je l’ai trouvé à un moment clé — mon arrivée dans le Perche. C’est une pièce en céramique (j’ai un gros faible pour ce matériau !). Je le trouve super original. J’aime sa simplicité, son format. Il est à la fois discret et étonnant. J’aime le fait que ce soit un objet du quotidien. Et puis j’adore les chouettes!

                  J’aime voir les heureux hasards, les petits signes de la vie. Il se trouve que la chouette, dans de nombreuses cultures, est un symbole de sagesse, d’intuition, de transition, voire de protection. Trouver une chouette à ce moment-là était un peu comme un clin d’œil de bienvenue !

                  En rafales

                  – Si je vous dis MATIERE, vous me répondez ? TERRE

                  – Si je vous dis BESTIAIRE, vous me répondez ? ESCARGOT

                  – Si je vous dis REVE, vous me répondez ? FLEURS

                  – Si je vous dis COULEUR vous me répondez ? NATURELLE

                  – Si je vous dis NATURE, vous me répondez ? MAGIE

                  Commentaires (2)

                  • Moquet

                    1 juin 2025 à 10h00

                    Très belle artiste. Gisèle, tu nous donnes envie de découvrir son atelier et ses œuvres.

                  • Thiollier

                    1 juin 2025 à 16h49

                    Un nouveau reportage très intéressant!
                    Terre, nature, magie de la matière sculptée, tout y inspire sérénité et délicatesse. Bravo à Marie Levêque et merci à Gisèle de la raconter.

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