Acte II : L’Arlatan, une oeuvre d’art totale immersive

Il est un endroit rare niché dans le cœur historique d’Arles, adossé à l’un des murs antiques des thermes de Constantin, un lieu où chaque objet, chaque revêtement se mêlent en une explosion de couleurs et de lumière, à la fois exaltée et paradoxalement délicate. L’Arlatan, enveloppé dans ses couleurs chatoyantes, est un hôtel qui ne peut laisser ses visiteurs indifférents. Maja Hoffmann, une mécène suisse a donné carte blanche à l’artiste cubano-américain Jorge Pardo pour qu’il en fasse une œuvre singulière, une œuvre d’art immersive, ludique et évocatrice. Je vous propose de découvrir cet endroit magique et de réaliser comment, en rentrant dans ce lieu, le visiteur n’est pas simple spectateur mais acteur invité à y vivre pleinement, tant l’univers de l’artiste s’exprime à un niveau de sophistication absolue. Personnellement, je n’avais jamais rien vécu de tel. A vous de juger…

 

Un joyau bien caché

Avant tout, je tiens à dire que rien n’annonce, rue du Sauvage, l’expérience déroutante que je m’apprête à vivre. Le contraste entre les ruelles typiques et les bâtiments anciens de la ville et la palette de couleurs vives dès que je franchis le seuil du lobby est saisissante voire foudroyante, mais pour mon plus grand plaisir.

 

Comment imaginer que derrières ces corps de bâtiments plutôt sobres voire austères se cache un magnifique patio, un jardin tropical dans la cour principale où l’araucaria se mêle aux bananiers, magnolias et autres figuiers qui entourent une piscine recouverte de mosaïques diaprées ?

 

 Un télescopage de couleurs et d’époques

L’Arlatan est sans conteste un télescopage spectaculaire de couleurs et d’époques. Outre ses vestiges antiques, ce palais des souverains de Provence était déjà reconnu comme l’hôtel particulier le plus somptueux d’Arles au Moyen-Age. Grâce à la vision hors du commun de l’artiste Jorge Pardo, il fait une entrée remarquable et remarquée dans le XXIème siècle. 

 

 

Il intègre plusieurs bâtiments datant des Ve, XVe, XVIIIe et XXe siècle qui lui valent d’être protégé et classé monument historique.

 Cette contrainte semble avoir tout simplement décuplé la créativité de l’artiste qui a su conserver ce riche patrimoine comme les plafonds à solives, les murs en pierre et même une colonne antique, et s’en accommoder.

Réaliser que ces murs eurent le privilège de loger la reine Claude de France, épouse de François 1er ne fait qu’attiser mon envie d’y séjourner. D’autant que depuis cette époque le décor y est devenu flamboyant et incroyablement accueillant. Cette sensation de faire un voyage singulier et magique à travers l’histoire et qui plus est à travers les cultures me plait passionnément. Cet artiste a déroulé son histoire colorée, joyeuse et métissée.

Une explosion de couleurs

 

 

Comme une véritable installation artistique

Cet hôtel se présente comme une véritable installation artistique. Jorge Parda ne s’est pas contenté de le restaurer. Il lui a apporté de nouvelles images contemporaines avec un œil nouveau. L’ensemble s’apparente davantage à une exposition d’art qu’à une référence au simple design. Des enjeux de présentation se superposent à ceux de l’histoire de l’art. 

On a l’impression d’un parcours d’images et de peintures dont le sol en serait la base. Comme suivant les cailloux du Petit Poucet, je me laisse divaguer et happer par ces 6000 m2 de mosaïque déclinée selon 11 formes et 18 couleurs. Les rosaces des sols bleus, jaunes, rouges ou verts se diffusent dans toutes les pièces et même sur toutes les surfaces, dans les espaces communs et privés. Ce sol haut en couleurs est une sorte de paysage, un principe d’organisation très intense. Il apparaît comme un genre de circuit d’expérience. 

 

Une mécène, Maja Hoffmann

J’ai pris plaisir à me perdre dans les dédales de corridors, d’escaliers et les multiples salons… Ces fragments ne forment pas qu’un motif, mais selon leur créateur, il s’agit d’un tableau global où chaque pièce est une séquence d’installations. Les déclinaisons de couleurs accompagnées des panneaux de bois peints à la main, des portes comme des tableaux uniques, des meubles imaginés et crées dans les ateliers de l’artiste forment une véritable démarche artistique, une « Gesamtkunstwork » souhaitée par Maja Hoffmann la propriétaire.

 

Un artiste, Jorge Parda

Ce joyau a été conçu également comme un dialogue entre les artisanats d’Arles et ceux du Mexique. Les deux millions de carreaux ont été fabriqués à Mérida près de la maison de l’artiste mais ils ont été posés par une entreprise arlesienne. Il a même fallu rouvrir une ancienne usine pour produire une telle quantité de mosaïques. Hormis les faïences, ce sont des artisans locaux qui se sont chargés des façades des nombreuses portes appréhendées comme des peintures uniques. Environ 1300 éléments de mobilier ont été répartis dans les espaces communs et les 43 chambres ou appartements : des tables basses en marquèterie, des têtes de lit en rotin, des fauteuils à bascule, des armoires fabriquées à la main. 

 

Pas moins de 400 lanternes et luminaires reprenant les codes des piñatas mexicaines ainsi que des « banderines », ces fameuses guirlandes lors des fêtes des morts. Ces suspensions font office de sculptures. La nuit, depuis la cour centrale, ces formes semi-translucides roses corail et bleu céruléen semblent flotter dans la cage de l’escalier majestueux telles des méduses irisées. Cette suspension tombant en grappe est absolument vertigineuse et grandiose.

 

Par les couleurs, les accumulations par milliers, l’ensemble pourrait avoir tendance à nous donner le vertige. Certes, avec ce décor flamboyant, on est bien loin du précepte du « Less is more » mais pour autant, point de démesure ni d’emphase. Contre toute attente, la délicatesse prend le pas sur l’overdose. Jorge Parda est un magicien : il a réussi à faire côtoyer des bleus ou des roses layette avec des teintes saumons et même me faire adorer ces palettes ! Sans vergogne, il a osé marier des mosaïques aux teintes vives à des boutis aux tissus camarguais aux allures de wax. 

 

Cette apologie de la lumière et des couleurs a été inspirée à l’artiste sans aucun doute par les couleurs franches des toiles de Vincent Gogh, le peintre arlésien dont l’empreinte imprime la ville mais aussi par la foule des teintes joyeuses et des sensations animant le célèbre marché du samedi matin. Aussi, il s’est subtilement inspiré de l’environnement : de l’écorce des platanes qui bordent le boulevard des Lices, le vert délavé des volets et fenêtres des ruelles, des portes ornementales rouillées…

Des chambres uniques et réconfortantes

Les chambres sont toutes uniques par leur mobilier ou leur linge de lit et malgré les couleurs éclatantes utilisées, elles sont comme un cocon apaisant de douceur et d’élégance où me réfugier agréablement après ma déambulation dans les ruelles de l’ancienne « Petite Rome de Gaule », ma séance de shopping dans les charmantes boutiques de la vieille ville, ma visite du musée Van Gogh ou du centre culturel Luma Arles sur le Parc des Ateliers.

 

Les amoureux du design ne sont pas en reste. Les plus avertis reconnaîtront les signatures des belles pièces de mobilier comme Charlotte Perriand, Gia Ponti, Eero Saarinen et bien d’autres, chinées par la galerie Nilufar ou issues de la collection personnelle de Maja Hoffmann. 

 

Au murs, la photographie est bien présente, notamment des celles du film At Eternity’s Gates de Julian Schnabel tourné en grande partie dans l’hôtel ne manquent pas de singulariser les espaces. 

 

Le jusque-boutisme de la démarche artistique est également valable dans la salle de sport équipée uniquement de machines en bois à propulsion mécanique;

 

dans les différents salons dont celui orné d’un panneau de bois peint d’une grande fresque discrètement enveloppée d’une pénombre rougie non loin d’un Moucharabieh métallique à la dentelle raffinée;

 

 

et bien sûr de la salle de restaurant et du bar tout aussi spectaculaire. La carte de mets simples adaptés au rythme des saisons est signée Armand Arnal et propose des plats aux saveurs méditerranéennes et provençales savamment dressés. 

Un restaurant & un bar tout aussi spectaculaires

 

 

Finalement, l’Arlatan a tant à offrir que j’ai eu du mal à en sortir. On ne descend pas en Arles à l’Arlatan. On y vit une expérience arlésienne qui va bien au-delà d’un simple vécu hôtelier riche, fondé sur une excellente literie, un personnel sympathique et de la bonne chère. Certes ces trois incontournables sont validés haut la main. Mais Jorge Pardo a su créer un lieu aux contrastes harmonieux véritablement accueillant, où les espaces communs sont cernés de lieux de confort, d’intimité et de répit. Il a imaginé une œuvre d’art totale, une installation et selon ses volontés « un cadre depuis lequel contempler le reste du monde ». Ils illustrent à eux deux de manière éclatante la manière dont une vision artistique peut transformer l’expérience que nous avons de notre monde environnant. Van Gogh nous rappelait : « N’oublions pas que les petites émotions sont les grands capitaines de nos vies. » Que dire alors du grand bonheur que j’ai vécu derrière les portes de cet établissement !

L’Arlatan

   20, rue du Sauvage

 13200 Arles, France

https://www.arlatan.com/fr

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