Acte II : Bistro Autour du beurre, la table gourmande à Saint-Malo de l'illustre Maison Bordier

Derrière les remparts de Saint-Malo, se cache le fief de l'illustre Maison Bordier dont Jean-Yves Bordier, maître beurrier et fromager affineur depuis 35 ans en est le roi. Il a eu la merveilleuse idée d'ouvrir un bistro attenant à sa célèbre boutique dont le beurre se retrouve sur les plus grandes tables du monde. Il peut ainsi « passer de la fourche à la fourchette », mettant en scène son or jaune et le décliner à l'envie pour notre plus grand plaisir. 

Une simplicité accueillante

Cet établissement, sis au 7 rue de l'Orme, mitoyen de la Maison du Beurre, arbore le même bleu, le même esprit boutique d'antan.

 

 Aucune prétention à l'horizon, juste une simplicité accueillante, la tradition. C'est l'annexe évidente, comme une arrière boutique discrète mais où tout se joue finalement. Dans la rue de l'Orme, il ne passe pas inaperçu. 

Le bleu vif contraste avec la pierre brute des maisons du centre-ville. En descendant en direction de la halle au blé, on ne peut que ralentir le pas et s'approcher de la vitrine pour consulter le menu. 

Bistronomiquement vôtre...

Lorsque l'on entre dans la première salle, on ressent instantanément l'ambiance bistro, raffinée mais d'une grande simplicité. Les codes adéquats sont bien là : l'ardoise, les bouteilles de vin exposées comme des trophées. 

Si l'on progresse plus en avant dans la pièce et que l'on passe le bar, on découvre un autre décor, plus inattendu et plus singulier. L'ancienne cour de la maison semble avoir été couverte et aménagée en un espace aux accents industriels et contemporains.

 La pierre et l'acier cohabitent avec un dosage bien pensé, le tout mis en valeur avec les dalles XXL en ardoise du sol. Les sièges de designer comme les chaises « Masters » imaginés par Philippe Starck conversent avec une collection impressionnante d'objets de métier liés à la fabrication du beurre, marquant ainsi la signature de l'établissement.

 L'ensemble assez sobre, brut et monochrome est vitaminé par quelques tabourets oranges « Charles Ghost » une nouvelle fois de chez Kartell.

Meubles de métier, barattes de différentes époques, vieilles affiches ventant les bienfaits du beurre, bouteilles et caisses de vins à foison, trophées de vaches en métal assument une décoration cohérente et agréable.

 Mais le clou du spectacle, le point d'orgue de cette scénographie, est le puits de lumière au fond de la pièce, théâtralisé par une suspension magistrale, coulant en pluie fine sur la table et finissant inévitablement par des bouteilles de lait, of course !

 Pour apprécier l'ensemble, je vous invite à monter « au balcon » sur la coursive métallique pour avoir une vue plongeante sur cette salle principale aux accents de loft, de bistro très actuel. 

Ce décor inédit bien pensé offre un bel écrin entre pierres et acier comme pour mieux apprécier la cuisine du chef Steve Delamaire en direct des savoir-faire de la marque du maître-beurrier. A l'image d'un atelier artisanal, le restaurant conçoit une cuisine bretonne, inventive, instinctive et maîtrisée. Cette cuisine poursuit un seul objectif, composer autour du beurre et lui rendre ses lettres de noblesse. C'est le souhait simple et déterminé de Jean-Yves Bordier. 

Un maître-beurrier de renommée internationale

 Ce maître-beurrier est une figure emblématique de la cité malouine. Il aime partager ses passions : le beurre, le fromage, la mer et le plaisir tout simplement. Il est devenu artisan beurrier à Saint-Malo en 1985, en reprenant la crémerie La Maison du Beurre, créée en 1927. Il redécouvre l'art de malaxer le beurre, cette méthode traditionnelle du XIXe siècle qu'il conserve et perfectionne grâce aux gestes essentiels des anciens beurriers. Il met au point ses techniques de tapage et de façonnage. Car Jean-Yves Bordier ne tape, tape, tape pas des refrains qui lui plaisent mais tape, tape et retape son beurre à la texture soyeuse, l'aromatise avec complexité, jonglant habilement avec l'équilibre des parfums. Ainsi, peut-il se vanter que ses beurres estampillés et composés garnissent toutes les grandes tables étoilées dans plus de vingt-huit pays dans le monde.

Rendre au beurre ses lettres de noblesse

A travers son restaurant, et grâce à son talentueux chef Steve Delamaire, il donne à son beurre le premier rôle, le mettant en scène avec des produits de saison, de qualité, issus de la pêche locale et du marché. Tous les plats sont à découvrir avec un choix surprenant de beurres aromatisés que l'on retrouve à la fois cuisinés mais aussi en découverte sur la table. Jean-Yves Bordier déclame souvent que « le plus important ce sont les émotions ». Et bien le jour de ma visite, l'émotion m'a envahie grâce à la dégustation de huit petits cubes de beurre, servis généreusement après l'amuse-bouche : des beurres au yuzu, aux algues, à l'ail des ours, demi-sel, à la framboise, au piment d’Espelette, au sarrasin et au poivre de Sichuan.

Alors qu'enfants, souvenez-vous, nos parents nous réprimandaient en nous défendant de nous faire des tartines de beurre avant l'arrivée des plats, ici, en toute impunité, non seulement on peut le faire, mais en plus on se doit de tous les goûter ! Le refrain en tête d'une chanson méconnue de Claude François « Du pain et du beurre, moi je n'aime que ça », on ne tartine pas, mais on dépose avec parcimonie un tout petit bout sur le bord de la tartine. A cet instant précis, quand on l'écrase en bouche, une explosion de saveurs inonde votre palais. Quelle finesse et quelle force à la fois ! La preuve est ainsi faite que le beurre a toute sa place dans la cuisine et ce ne sont sûrement pas Bourvil et Fernandel qui me diront le contraire ! Les plats proposés à la carte ne sont que le résultat de cette équation parfaite entre le beurre et les produits cuisinés par le chef Delamaire qui réussit sa mission haut la main avec des idées modernes et des plats joliment dressés.

Une cuisine instinctive et maîtrisée

Pour ma part, j'ai eu la chance de déguster en entrée un œuf mollet à la crème de persil, champignons de Paris au beurre de sarrasin, un aigle-fin avec sa brunoise de légumes et purée de patates douces pour le plat et en dessert, un crumble de pommes et poires aux flocons d'avoine et beurre vanille de Madagascar accompagné de son sorbet banane caramélisé.

Mais la carte vous propose, selon les saisons, d'autres merveilles comme par exemple, un cabillaud rôti au beurre d'algues, une queue de lotte piquetée de chorizo au beurre de sel fumé, un pigeonneau au réglisse et sa poélée de blettes au beurre de sarrasin, un tournedos de sole à la bisque d'étrilles et aux palourdes ou, pour une note sucrée, un sablé breton de framboises avec sa crème citron au beurre framboise...

Vous avez l'eau à la bouche ? J'en suis fort aise. Et bien n'hésitez plus maintenant, si vous êtes de passage à Saint-Malo, poussez la porte du restaurant Autour du beurre, tout contre la petite boutique bleue de la Maison Bordier, cette adresse est l'ambassadeur le plus légitime de l'or jaune et son plus fervent défenseur, tout comme la cité malouine l'a été jadis des ennemis du roi.

Merci chef Delamaire, merci Monsieur Bordier, de nous faire découvrir des saveurs à la fois simples et complexes, issues d'un savant mélange entre un savoir-faire ancestral et des idées nouvelles. Votre table ne compte pas pour du beurre, loin s'en faut.

 En regardant nostalgique l'affiche attendrissante sur laquelle pose fièrement un garnement avec sa tartine, affiche qui trônait jadis à l'arrière même du camion du père de Jean-Yves Bordier, les paroles d'une comptine pour enfants apprise naguère me reviennent à l'esprit. Je les récite mentalement avec fierté et espièglerie : 

« Petit pot à beurre

Quand petit pot à beurreras-tu ?

Je petit pot à beurrerai

Quand tous les petits pots à beurre

Petit pot à beurreront ».

Petits pots à beurre de la Maison Bordier assurément ! Comme le disait le romancier américain Charles Simmons : « L'amour, c'est comme le beurre, ça rend tout meilleur » !