Acte I : La Maison Pelloquin, au coeur des histoires et de l'Histoire

 

Perché dans son cabinet de travail en plein ciel de sa maison anglo-normande de Guernesey, Victor Hugo écrivait dans ses Contemplations : « Ayez pitié : voyez des âmes dans les choses ». En visitant La Maison Pelloquin, à deux pas de la plage normande du débarquement de « Juno Beach », j'ai décelé une âme dans cette demeure, abri de nombreuses histoires et tranches de vie depuis sa construction en 1785 et témoin de l'Histoire inévitablement. Charge à moi de vous faire voyager dans le temps et dans chacune des pièces de cette demeure de caractère qui a retrouvé une nouvelle jeunesse grâce à un couple de passionnés, Maxence et Rodolphe, dont le rêve était d'en faire une maison d'hôtes.


Un mélange d'influences



Dès l'ouverture du portail, mes pas sur le gravier sont impatients de l'apercevoir. Cachée au cœur d'un parc arboré clos de murs, je la découvre enfin.

 



 Elle a fière allure. L'architecture témoigne des différentes étapes d'agrandissements, reflets d'un mélange d'influences au fil du temps. A l'origine, fief d'un marchand de la fin du XVIIIème siècle, un certain Denis Pelloquin, elle fut un siècle plus tard, la propriété de Léopold Hettier, un notable de Caen. 

 

 


Entre temps, une aile du bâtiment fut érigée dans un style anglo-normand. 

 

Elle resta dans cette même famille originelle jusqu'à ce que Maxence et son mari ne la visitent un jour de pluie en janvier 2014 et en deviennent les nouveaux heureux propriétaires, lui donnant enfin cet élan de modernité qui lui revenait de droit. D'ailleurs, Maxence m'attend, souriante, sur le perron de l'entrée principale, accompagnée d'Ursule, son fidèle acolyte attendant sagement à côté de sa maîtresse et d'une collection de courges « buttercup », de potirons bleus de Hongrie et de quelques chrysanthèmes savamment composés.

 
 

Une rénovation respectueuse

 Avant de me faire visiter les 700 m2 de la bâtisse, elle m'explique que ce lieu était idéalement configuré avec ses deux entrées séparées pour y aménager ses cinq chambres d'hôtes. Elle relate les différents épisodes de la longue rénovation qu'ils ont entrepris avec Rodolphe durant 10 ans. Et ce ne fut pas une mince affaire... Ayant toujours été une maison secondaire et inhabitée depuis 2 ans, le chantier s'annonçait colossal. En dehors du très gros œuvre comme la toiture, l'assainissement et la mise en place du réseau d'eau, c'est son mari qui se chargea de tous les autres postes de rénovation : l’électricité, les huisseries, les peintures, le sablage des boiseries etc... Tout cela en y habitant déjà avec leur famille. D'ailleurs, au moment de l'aérogommage de ces dernières restées dans leur jus, d'un vernis très sombre, la plage de Bernières-sur-mer n'avait rien à envier à tout le sable qui se retrouva dans la maison ce jour-là ! Pas moins de deux gros aspirateurs de chantier loués et beaucoup d'énergie ont eu raison de tout le sable amoncelé au pied de l'escalier...

Un rez-de-chaussée accueillant

Dès l'entrée principale, le décor est planté. La décoration enchante par sa chaleur et sa douceur.

L'élégant panoramique a trouvé sa place et ne dénote nullement avec l'esprit de la maison. Il insuffle une note actuelle à l'âme d'antan de ce lieu chargé d'histoire. Il en est de même dans le charmant petit salon dédié aux hôtes. 

 

Les meubles plutôt classiques, les fauteuils et canapés invitent à la détente. On n'a qu'une envie, c'est de s'y poser pour lire, papoter, se documenter sur les prochaines balades à faire, boire un thé ou grignoter un biscuit... 

 


On ne sonne plus à la cloche pour se faire servir depuis les cuisines ces petites douceurs sucrées mais le passe-plat témoigne des us et usages d'une certaine époque révolue. La pièce est paisible. Ursule ne s'y est pas trompé : c'est là qu'il se plait à y faire la sieste. 

Attenante, la salle à manger est l'endroit où l'on partage les repas, l'occasion d'échanger, de rencontrer des voyageurs du monde entier.

 

 Autour de la grande table, on y parle toutes les langues. Maxence a recensé pour cette année pas moins de 27 nationalités de passage qui ont dégusté le petit-déjeuner normand qu'elle propose chaque matin à la chaleur du poêle à bois. 


 


Sur le comptoir, ancien établi du grand-père de Rodolphe, un buffet propose mille et une douceurs « faites maison » par Maxence, hôtesse passionnée et délicate, comme des gâteaux tous plus appétissants les uns que les autres, du miel, des compotes des pommiers normands, des cookies, des madeleines. Un véritable régal !

 

D'ailleurs, le lieu de vie de la Maison Pelloquin c'est bien la cuisine attenante, la pièce préférée de Maxence, imaginée dans l'ancien office. Exposée plein sud, agrémentée d'une cheminée, il y fait bon vivre.

 

 La pièce est généreuse et inondée de lumière même les jours où la grisaille normande est de mise. Les tonalités sombres vous enveloppent d'un réconfort agréable. La brique de la cheminée répond harmonieusement aux carreaux de ciment du sol.

 


 Toute la famille s'y retrouve pour cuisiner mais aussi jouer, travailler, discuter autour d'un bon repas. Ursule encore une fois ne s'y est pas trompé et y a élu domicile en y installant sa niche. Les objets y ont une part belle et donne du caractère à la décoration à l'accent « maison de famille » tout comme le sol et le mobilier, sans parler des bonnes odeurs qui s'en dégagent évidemment...




 

Raffinement & douceur dans les chambres

Pour accéder aux chambres des hôtes, il faut emprunter un escalier hors du commun, véritable colonne vertébrale de la maison. Fort heureusement, la pierre de Caen a été remise à nue, libérée de sa moquette désuette.

 

Les boiseries travaillées et d'une délicatesse rare, entièrement sablées et dénudées de leur vernis sombre, se révèlent comme une véritable œuvre d'art. Elles nous plongent dans l'univers hugolien de Guernesey !


 Sublimées par une charpente cathédrale et une verrière Eiffel, l'escalier s'érige en majesté. A l'image de la maison de « Hauteville house » de Victor Hugo, cet escalier est tout un poème.
 

Les esprits du lieu m'ont susurré qu'il aurait été l’œuvre d'un des propriétaires, tombé éperdument amoureux en 1820 d'une jeune femme protestante de l'île de Guernesey... La famille alors opposée à cette union, il aurait réalisé cet escalier typique du style anglo-normand en l'honneur de sa bien-aimée... qu'il finit par épouser.


Dans cette aile au style anglo-normand, une première chambre se découvre derrière la porte sculptée. Armée de fenêtres à meneaux, architecture singulière, et exposée plein sud, elle offre une palette de couleurs douces et rassérénantes. 

 

 



Si l'on monte quelques marches une deuxième chambre, cette fois-ci avec vue sur le parc, se laisse apercevoir. Les tomettes d'époque, la cheminée et le miroir ancien confèrent une ode au passé, revisitée par un linge de lit frais et délicat. 

 









Après avoir emprunté un couloir annexe, les trois autres chambres se succèdent.



 L'une, véritable écrin de douceur, offre des proportions très généreuses, avec une méridienne qui incite à la paresse. Une imposante enfilade en occupe le mur du fond.




 Vaisselier imposant des anciens propriétaires, il ne put rejoindre sa dernière demeure que lors de la réfection de la toiture ! Il commence une nouvelle vie en accueillant du linge de maison.


Donner une deuxième vie aux meubles, c'est aussi un vrai talent de Maxence. Côté jardin, deux autres chambres sont proposées aux hôtes. Une première décorée de meubles anciens, d'un miroir d'époque, d'une cheminée, d'un lavabo en émail et d'une salle de douche semi ouverte ;

 






 l'autre, une véritable suite de 48 m2 se décline en un salon cosy avec un espace bureau et une grande chambre à l'esprit boudoir d'une élégance exquise avec vue sur une verdure ressourçante. 

 

 






Chacune de ces cinq chambres sont pourvues d'une salle de bain pensée par Maxence et Rodolphe. Les codes sont sobres et raffinés pouvant plaire à tout un chacun.

Au cœur de l'Histoire

Cette demeure, vous l'aurez compris, a su traverser les siècles et les épisodes des histoires de ses propriétaires. Mais sans le vouloir, elle est devenue aussi le théâtre de l'Histoire elle-même. Le XXème et ses deux conflits mondiaux l'ont épargnée et c'est un soulagement. Mais ses murs ont été les témoins d'évènements tragiques. Durant la Première Guerre mondiale, elle fut le refuge de soldats mutilés. Mais c'est lors de la Seconde Guerre mondiale qu'elle a, comme d'autres maisons du littoral normand, endossé le premier rôle et participé à l'écriture de récits témoignant du débarquement des alliés.

 


 Située innocemment sur le secteur canadien de l'opération « Overlord », elle fut le témoin, le 6 juin 1944 de l'arrivée massive de 14 000 soldats canadiens débarqués ou parachutés entre Courseulles, Bernières et Saint-Aubin sur Mer. Sans demander son reste, elle devint un hôpital de campagne pour ces héros d'outre-atlantique blessés, venus libérer la France. Maxence, émue, me confie qu'elle a retrouvé des brancards dans la grange attenante.


Quand je visite la Maison Pelloquin, épris de quiétude et d'élégance aujourd'hui, je ne peux oublier ces tragiques instants. Cette demeure, en plus d'être imprégnée des histoires de ses propriétaires, est chargée d'Histoire avec un grand « H ». Ce qui est émouvant, c'est que Maxence et Rodolphe en l'imaginant en chambres d'hôtes, lui écrivent à quatre mains une nouvelle partition. Penser qu'à leur table des petits-déjeuners, un ancien membre de la famille des nourrices des enfants des anciens propriétaires partage le couvert avec des familles allemandes venues suivre les traces de leurs aïeux disparus, est tout simplement bouleversant. 80 ans après le Dday, imaginer que les ennemis d'alors sont devenus les amis d'aujourd'hui, partageant le gite et le couvert à la table de cette maison, fait espérer que la cause humaine n'est pas perdue. Une dernière fois je pense à Hugo, exilé en son temps non loin de là, qui disait : « Les mots manquent aux émotions ». Alors pour une fois, je me tais et savoure avec vous cet instant. 

 




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