Déco-nnexion avec Julien Chaverou
A l'instar du fameux irréductible héros gaulois, il semblerait que vous soyez tombé dans la « marmite » de la décoration dès le plus jeune âge, grâce à votre famille.
Quels ingrédients de déco proposeriez-vous pour réaliser une bonne potion magique bien dosée et avec du goût ??
J’ai accompagné ma mère, architecte d’intérieur après avoir été antiquaire, qui avait aussi une boutique à Bordeaux, pour la première fois sur les salons en 1989. J’avais 15 ans. A l’époque, c’était encore Porte de Versailles, à Paris. Le PAAS, le MIC, la Biennale des Editeurs de tissu… Ce fût un magnifique terrain de jeu pour apprendre. Ma marraine était issue des Beaux-Arts et mon parrain décorateur de théâtre, lui-même professeur à ces mêmes Beaux-Arts. J’ai effectivement un côté Obélix ! Dans ces cas-là, finalement, je crois qu’on apprend pas : on inspire. On respire. On regarde. Et on accumule sans le savoir tout un tas des sédiments qui font un jour une culture.
Votre question est difficile. Avoir du « goût » est totalement subjectif. Question de culture et d’époque. Par conséquent, je rejoins Chanel ou Saint-Laurent : dépasser les modes au profit du style. Plus personnel, plus identitaire. Plus singulier. Le premier ingrédient, sans conteste, c’est le style. C’est ce qui vous appartient.
Ensuite, de la mesure. De l’équilibre. On peut-être extravagant sans être ostentatoire. Comme en cuisine, à force de parfaire les plats, on peut perdre les gens dans une sophistication trop complexe à saisir. L’art n’est jamais aussi accessible que lorsqu’il ne s’explique pas et se reçoit comme une sorte d’évidence. La déco, c’est un peu pareil.
Du style et de l’équilibre pour se traduire et, ainsi, affirmer sa singularité comme une évidence. Ce pourrait être la recette de cette potion magique.
Yves Saint-Laurent, votre mentor, disait : « Mon arme est le regard que je porte sur l'époque.» Vous avez fait de cette phrase votre leitmotiv et, en tant que photographe, vous regardez le monde par le prisme de votre appareil photo.
Par quelle focale préférez-vous immortaliser les décors qui vous entourent?
Photographe est un grand mot. Disons que tant de choses passent par le regard et la façon de regarder, qu’ il m’est venu à l’esprit de retenir ces regards. Ces observations constantes. J’ai la chance d’avoir une très bonne mémoire. Mais pour transmettre, l’image est devenue indispensable. Je passe des heures à marcher, dans les villes ou à la campagne, en voyage, toujours avec l’appareil au bout des doigts. L’œil se fixe sur quelque chose d’anodin, mais qui dégage quelque chose d’expressif. Je suis un obsédé des portes d’entrée !
C’est ce que j’essaie de retenir. Un détail qui soudain retient l’attention parce qu’il exprime ou révèle quelque chose, un sentiment. Une émotion. C’est une focale où l’appareil prend la place de l’œil. Pas de grandes perspectives. Pas d’effet panorama. Au contraire, une fixation sur le détail qui rend le décor plus expressif et sensible. Pour le coup, c’est aussi un principe de déco. L’architecture fixe le volume, les perspectives, définit l’espace. Définit la lumière. La déco s’adresse à l’intime, aux sentiments, aux souvenirs comme au présent. Je suis parfois plus sensible à un bouquet du jardin qui raconte le jardinier, plutôt qu’à la pièce d’art qui trône comme elle le ferait dans un musée. Nous n’habitons pas des musées.
Pour revenir à la référence Saint-Laurent, c’est bien cette idée de l’imagination qui part d’un « simple » détail, vécu ou observé. Pour l’humour, je disais récemment qu’enfermer Saint-Laurent dans les musées, c’était créer une génération de créateurs daltoniens ! Ceci dit, je conseille quand même ces magnifiques musées ! Mais comprendre le musée de Marrakech, c’est aussi connaître les détails presque cachés du Jardin Majorelle.
3. Dans votre parcours professionnel, vous avez toujours eu à cœur de promouvoir une décoration version « Maison à la Française » avec tous les préceptes que cela suppose. C'est également le parti-pris que vous avez souhaité insuffler chez Alinéa en tant que Directeur de la marque.
Quelle est votre définition de cet esprit de Décoration ?
J’ai commencé ma carrière, il y a 30 ans, chez un grand retailer international de la mode. C’était aussi l’époque du départ en grand import, des délocalisations tant dans le textile que la déco. Et le paradoxe était intense : des références culturelles qui nous appartenaient totalement déconnectées de la fabrication. Petit à petit, les gens ont perdu l’histoire des produits, d’où ils venaient, ce qu’ils portaient de culture et d’histoire.
Avec curiosité et ouverture, on a aussi intégré d’autres cultures. C’est une bonne chose. Mais on a aussi parfois oublié notre propre patrimoine. Lorsque vous posez la question « Design » aujourd’hui en France, on vous répond « Scandinave », « Conran » ou « Italie ». Rarement des références françaises. Il ne s’agit pas de critiquer cette ouverture. Mais reconnaître qu’aujourd’hui 60% des parts de marché déco et ameublement en France sont détenues par des acteurs qui se réfèrent à autre chose que notre propre patrimoine. Il est d’ailleurs intéressant d’observer comment certains Danois, qui ont une histoire longue avec notre pays, eux, ont su parfois si bien s’emparer de nos références et de nos archives. Alors redonner une place à la déco d’inspiration française, par des entreprises françaises, ce n’est pas du nationalisme primaire. C’est juste recevoir, transformer et transmettre un héritage que nous avons souvent nous-mêmes oublié..
Ce travail, je l’ai commencé avec ma propre boutique-atelier (« La Saison Imprécise ») il y a toute juste 20 ans, et un lieu d’art de vivre à la française, d’abord destiné à une clientèle étrangère (un comble). Effectivement, je le poursuis aujourd’hui au sein d’alinea depuis 7 ans, engagé dans la mise en valeur du patrimoine et la relocalisation des productions en France, en Europe et sur le bassin méditerranéen.
Nous avons une histoire longue et nous sommes ouverts sur le monde et ses nouveautés. Nous avons des savoir-faire très anciens et une appétence reconnue pour les nouvelles technologies. Nous cultivons un certain hédonisme et une certaine frivolité (parfois le goût du « beau et inutile »). Nous avons un climat et des paysages que le monde entier nous envie.
Alors, l’esprit d’une maison française c’est : un peu d’ancien, un peu de neuf, un peu de fait soi-même, où les racines s’inscrivent dans le temps et le goût de la pierre, comme un jardin qui continue sans cesse de grandir et de se transformer ; jardin omniprésent, à l’intérieur comme à l’extérieur, tant nous sommes influencés par nos paysages et dépendants de la lumière. C’est un style et un équilibre constant entre le passé et le présent, l’intérieur et l’extérieur, le culte de l’intime et le goût immodéré de recevoir. Sans doute est-ce aussi pourquoi la table y prend tellement de place.
4. L'écriture est aussi depuis toujours une de vos armes pour appréhender votre temps.
Livrez-moi 5 mots qui définiraient au mieux une Décoration de style, votre Décoration.
Héritage. Création. Equilibre. Détails. Singularité.
5. Si l'on part du principe que la mode, dans laquelle vous avez travaillé, ou la décoration actuelle est le résultat d'une sorte de « sédimentation » de toutes les époques, passées laquelle affectionnez-vous particulièrement ? Celle qui vous inspire le plus ?
Je suis un irréductible romantique, dans la définition de la seconde partie du XIXème siècle. Sans « Le Rouge et le Noir », sans doute porterais-je d’ailleurs un autre prénom… L’époque de Baudelaire et du symbolisme aussi.
L’inspiration constante entre la table, la déco, le jardin et les traces de la fin du XIXème siècle
Une époque tout aussi éprise de son passé et de ses traditions, que de la nouveauté et d’un monde en révolution, sachant célébrer l’artisanat sans ignorer l’industrie. C’est d’ailleurs à cette époque que naît la Haute-Couture à Paris en même temps que les grands magasins.
Une époque de rayonnement français aussi, où le monde des arts, et celui de la peinture en particulier, prépare aussi la révolution esthétique en changeant la manière de regarder. Un rayonnement qui s’enrichit de l’ouverture au monde par les ports et les comptoirs, sans peur et avec gourmandise.
Il m’en reste le goût du noir et des matières qui retiennent volontiers la main, du bois travaillé sans ostentation particulière. Le noir qui, depuis le Second Empire, jusqu’à la petite robe de Chanel ou la See-Through Blouse de Saint-Laurent, traverse le temps, synonyme de style et d’élégance. On s’y retrouve, non ?
Et puis un objet fétiche : un chapeau haut de forme « poil de poulain » noir qui me suit dans tous mes déménagements successifs comme objet de décoration.
Le fétiche chapeau haut de forme se mêle aux ouvrages sur Saint-Laurent,
les livres anciens et les motifs poétiques de Nathalie Vidal (Maison Baluchon)
Incroyable!
RépondreSupprimerComme toujours Gisèle tu nous embarque avec toi vers des gens talentueux, intelligents et sensibles à la beauté ! J'aime ton écriture ta simplicité et ton intelligence bravo M.B.
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