Déco-nnexion avec franck galibert
Franck Galibert est un véritable "human hub" du design et de la décoration. Après 18 ans de danse classique et de conservatoire, un master d'ingénierie culturelle, un entracte dans le monde associatif pour promouvoir l'Art, il est devenu directeur des collections chez Pomax, puis en 2018 chez Habitat donnant un nouveau souffle à l'enseigne. Il vit actuellement entre Paris et New York et partage son expérience et son expertise en consulting pour des marques et manufactures européennes et américaines. Passionné d’art, de musique contemporaine et de danse, il m'a fait l'immense plaisir de répondre à mes questions décalées avec grande simplicité... Profitons de cet instant privilégié de "Déconnexion".
Contre toute attente, nous avons un point commun. Le nom de mon Blog fait référence à ma grand-mère mais également au fameux ballet que vous avez dansé sur scène au cours de 50 représentations ! Nous sommes donc, vous et moi, « balletophiles », amoureux transis du beau, de l'élégance et de la rigueur...
Quels sont selon vous les points communs entre la danse et la décoration?
Le premier point commun qui me vient à l’esprit est l’émotion. Émotion que l’on ressent à la vue d’un ballet, à la vue d’un objet. Émotion aussi dans la création d’un objet ou d’un meuble et émotion nécessaire à l’exécution d’un pas.
La rigueur ensuite, dans la recherche du mouvement parfait, similaire à celle de la recherche du dessin le plus juste, de l’artisan le plus adapté à ce que l’objet soit parfait.
Enfin le partage. Notion centrale en danse aussi bien qu’en design/décoration. Partager son idée pour en faire une réalité dansée ou un objet. Partager son point de vue pour affirmer sa chorégraphie, son objet. Enfin, partage avec le client final qui emporte une partie de nous chez lui.
Vous avez été directeur des collections de l'enseigne Habitat. La devise du fondateur Sir Terence Conran était : « L'utile peut être beau et le beau accessible », maxime qui révolutionna le monde du design... Votre relecture contemporaine de ces valeurs chères au maître anglais se résume en 3 mots : Créativité, Matière, Savoir-faire dont les initiales pourraient former l'acronyme C.M.S. (Content Management System), un programme informatique permettant, entre autre, de créer une site de vente en ligne.
Citez les 3 pièces de design que vous aimeriez y voir en première page comme « produit top vente ».
Si l’on parle de pièces HABITAT je citerai sans hésitation :
- La table tapissier qui intègre les collections HABITAT en 1976 et qui revisite la fameuse table éponyme pour la transformer en table de repas, adaptable à toutes les pièces et transportable. Elle est pour moi le premier symbole de la modernité de Sir Terence Conran chez Habitat.
- La célébrissime lampe Ribbon de Claire NORCROSS. Créée en 2005 dans un avion de retour de New York. Elle reste une des pièces les plus iconiques de la marque. Je me rappelle encore sa sortie, et , mon envie de posséder cette pièce.
- Le fauteuil Cajou. Dessiné par Adrien Carvés, avec lequel j’ai eu le grand privilège de débuter chez Habitat. Cajou est devenu rapidement un fauteuil iconique de par ses qualités évidentes de design accessible, confortable et qui s’intègre parfaitement dans tous les intérieurs. Je reste admiratif et tellement reconnaissant envers Adrien pour son partage, sa confiance et notre complicité. Designer talentueux, il est un vrai « enfant » Habitat. Formé chez Habitat par mon prédécesseur, Pierre Favresse, Adrien s’est épanoui à mon arrivée pour devenir un directeur du studio Design, engagé et passionné.
Si l’on parle de pièces design d’autres maisons :
- Le fauteuil CITE de Jean Prouvé. Peu de fauteuils peuvent se targuer d'avoir marqué l'histoire du design et le fauteuil Cité fait assurément partie de la liste. Dessiné par Jean Prouvé en 1930 à l'occasion d'un concours lancé pour l'ameublement des chambres de la Cité universitaire de Nancy, le fauteuil Cité était une des œuvres préférées de son auteur, qui l'avait choisi pour l'ameublement de sa propre maison. Beau sous tous les angles, très confortable, il séduit par son mélange d'épure ascétique et de douceur moelleuse, avec ses fins accoudoirs en cuir montés sur une structure métallique, son profil tendu et son rembourrage généreux. Ce fauteuil m’a marqué depuis des années et reste l’une de mes pièces de design préférées. Il est bien évidemment dans mon salon ….. à New York.
- Le vase WIND de Christian Ghion pour la Manufacture Haviland. La Manufacture Haviland et le designer décident de s’associer pour la première fois. De cette collaboration est né en vase aussi surprenant que grandiose afin de convenir à tout type d’intérieur. Les ondulations harmonieuses de cette création sont l’expression d’une légèreté exceptionnelle. Le vent qui effleure la porcelaine confère à cette pièce toute sa somptuosité. Le vase est composé d’une superposition gracieuse de vagues qui se figent lentement dans une continuité fabuleusement raffinée. Le vent, accompagnant les courbes rythmées et délicates de ce vase, donne l’impression d’un temps suspendu où toute la poésie de la pièce se révèle. Au-delà de la beauté de ce vase, la rencontre humaine avec Christian Ghion reste un de mes plus beaux souvenirs de mon passage chez Habitat. Collaborer avec Christian est un moment fort, une confiance et des échanges amicaux qui me sont chers.
- Une lampe Akari d’Isamu Noguchi (1952) : Hymne à la douceur, la lampe Akari conjugue design léger et fabrication traditionnelle en papier de riz. Inspiré par les lanternes japonaises traditionnelles, son créateur Isamu Noguchi en a fait une pièce empreinte de poésie. Mon gout pour le Japon et le Wabi Sabi.
- J’ose rajouter une dernière pièce : le fauteuil WASSILY de Marcel Breuer. Il était étudiant au Bauhaus lorsqu'il conçut le premier siège en acier tubulaire et devint le promoteur du mobilier métallique. En 1925, il dessine ce fauteuil, destiné à l'appartement du peintre Wassily Kandinsky. Sa structure tubulaire s'inspire de celle d'un vélo. Le fauteuil Wassily, une des icônes du design moderne.
3. Vous êtes sans conteste un passionné d'art. L'Art par ses « super pouvoirs » peut toucher les sens et les émotions de chacun. Dans votre parcours, vous avez oeuvré pour rendre accessible cet Art aux enfants maltraités ou à des familles en difficulté via des ateliers.
Qu'est-ce qui selon vous peut toucher un non initié devant un objet de décoration ou une pièce de design?
La naïveté du regard, j’entends par là le regard vierge de toute éducation et surtout l’émotion que l’objet procure. Qu’elle soit positive ou négative, l’émotion donne la porte d’entrée à la connaissance, à la curiosité. C’est ce que j’ai pu appliquer pendant une dizaine d’années avec les enfants. Mon mentor dans mon métier m’a dit un jour : « Quand tu es devant un bon produit, LE produit, il va te parler ». J’ai mis longtemps à comprendre qu’un bon produit bien dessiné, est celui qui parle à nos émotions et dans lequel on se reconnait.
4. Vous avez rénové avec élégance et charme une longère en Picardie. Torchis à colombages, murs de pierres apparentes, hourdis en briques en sont la base.
Quel a été votre secret pour faire de ce lieu simple et authentique, non pas une des maisons des Trois Petits Cochons pour se protéger du Grand Méchant Loup, mais un havre de paix, un refuge de convivialité, un repaire d'esthètes?
Notre maison de campagne est à notre image. Nous avons voulu en faire non pas une maison de campagne lambda mais une maison qui nous ressemble, qui raconte une histoire. Une histoire de rencontres, avec des artisans, dans le cadre de mes activités, de nos voyages. Une histoire de famille avec des meubles de ma grand-mère, de la famille de mon mari auxquels nous tenons. Des rencontres avec des artistes, nos amis qui ont marqué nos vies. Bref, une maison qui nous ressemble, ou nos amis peuvent venir se ressourcer en toute simplicité et surtout une maison où la convivialité et le partage sont les maitres mots.
5. Vous vivez maintenant à New-York, la ville de tous les possibles. Vous voilà, non pas comme Sting, « an englishman in New-York » but « a frenchman in The City ».
Là-bas, l'approche de la décoration est-elle la même qu'en France ?
(N.B. Pour cette réponse, « Be yourself, no matter what they say... »)
Les cultures américaine et française sont proches et cependant assez différentes. L’art de l’assemblage « à la française » reste l’apanage du bon gout réservé à une élite. Nous sommes plus enclins aux détails d’un intérieur que les Américains. La fonctionnalité et praticité des objets priment. L’habitat est pensé d’une autre manière. La façon d’y vivre également. Cependant, la créativité américaine est intéressante et nous pousse, nous français, à appréhender le design dans sa fonction première de fonctionnalité. L’esthétisme est en second plan. Cependant, les grandes enseignes de décoration, et de design affirment des styles beaucoup plus prononcés que nous. Les Américains assument leurs styles URBAN & COUNTRYSIDE. A chaque lieu son style. Soyons honnêtes, le « American style » nous inspire, nous avons repris le style SHAKER pour son coté minimal et austère et le style INDUS/URBAN comme must have pendant des décennies.
La décoration MADE IN AMERICA a beaucoup à nous apprendre et reste une source d’inspiration importante dans mon univers créatif. Nous avons emménagé avec peu de meubles « français » pour mieux appréhender l’expérience américaine et aussi, démarrer une nouvelle histoire là-bas. Je me partage avec plaisir entre Paris et New York, mais je dois reconnaitre que la vie américaine est passionnante. Je suis heureux de revenir à Paris et ravi de retrouver ma vie américaine aussitôt arrivé à New York.
Très bel article sur un personnage éclectique, attachant, talentueux, loyal, grâce auquel j’ai découvert la beauté du design et renoué avec mon amour pour la danse classique et l’art lyrique.
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