Archi beau : La Villa-Atelier d'Antibes d'Anna-Eva Bergman et Hans Hartung, par Amour et et pour l'amour de l'Art

Comme l'ont été Anette Messager et Christian Boltanski, Hans Arp et Sophie Tauber-Arp, Jean Tinguely et Niki de Saint-Phalle ou encore Christo et sa bien aimée Jeanne-Claude, Anna-Eva Bergman et Hans Hartung font partie de ces couples mythiques qui ont traversé le XXème siècle en laissant leur empreinte d'artistes par leur œuvres évidemment mais aussi à travers leur dernière demeure, témoin de leur amour pour l'art, de leur amour tout court. Visitons sans tarder cette « maison-mémoire » veillée par des oliviers centenaires et mâtiné du soleil d'Antibes.


Avant de déambuler dans l'oliveraie de deux hectares, bercés par le chant mélodieux des cigales, faisons connaissance avec les deux propriétaires des lieux.



Un couple d'artistes passionnés

 Elle, franco-norvégienne, née en Suède en 1929, est illustratrice de talent et dessinatrice de presse jusqu'à la fin des années 40 avant de se consacrer totalement à l'abstraction et de devenir peintre de génie, inclassable. Lui, né en 1904 à Leipzig, est un peintre français, photographe et architecte d'origine allemande ; il est indéniablement l'un des plus grands représentants de l'art abstrait. 


 

 Leur vie pourrait s'apparenter à une véritable romance cinématographique, tant le scénario est passionnant et les acteurs passionnés. Faite d'exaltations et de drames, de séparations et de retrouvailles, elle a fait que ces deux artistes n'ont eu de cesse de se nourrir l'un de l'autre pour offrir une créativité respective hors du commun. Ils entament tous deux des études d'art et leur rencontre à Paris lors d'une exposition, sonne comme un véritable coup de foudre. Leur mariage, six mois plus tard, est une évidence. Menant une vie de bohème dans les années 30 sur l'île de Minorque aux Baléares, dans une petite maison qu'ils se sont fait construire, ils sont vite rattrapés par le contexte houleux de l'avant-guerre,  soupçonnés d'espionnage par le régime de Franco, et contraints de retourner à Paris. 

 Mais Anna-Eva Bergman, heurtée par une santé fragile, ne résiste pas à son désir de liberté et d'indépendance. Le couple divorce, les deux artistes vont se remarier chacun de leur côté et emprunter des chemins très différents, des chemins qui vont considérablement orienter leur façon de produire leur art, d'autant que la Seconde Guerre mondiale éclate. Elle, retourne en Norvège, et lui s'engage dans la légion étrangère contre l'Allemagne, son propre pays. Héroïque, il est gravement blessé, doit être amputé d'une jambe et obtient la nationalité française. 

 Développant respectivement leur art, ils s'épanouissent séparément, confondant leur bonheur de vivre avec le bonheur de peindre. Mais c'était sans compter la force d'une  destinée commune. Ils se retrouvent à Paris en 1952 et sans surprise, retombent amoureux comme au premier jour, si tant est qu'ils ne l'eurent plus été depuis leur séparation... Cinq ans plus tard, ils se remarient après avoir divorcé de leurs conjoints respectifs pour ne plus jamais se quitter et produire une œuvre foisonnante et exposée. Comme dirait la chanson, "ils se sont connus, se sont reconnus, se sont perdus de vue, se sont retrouvés et sont repartis dans le tourbillon de leur vie".

 


Une maison-atelier

Et c'est à ce moment-là que l'histoire de la merveilleuse villa-atelier d'Antibes voit le jour. Cette maison parait comme l'aboutissement, la suite logique de leur vie, de leur œuvre, de leur amour.



 Hans Hartung achète ce terrain en 1960 planté pour l'essentiel d'oliviers et de quelques pins maritimes et a pour volonté d'imaginer lui-même leur maison. A l'image de celle qu'il a conçu à Fornells, de leur appartement parisien, ce sera une nouvelle fois à Antibes une maison-atelier. Son objectif est simple : protéger et entretenir la mémoire de leur œuvre par le biais d'une fondation privée qui serait garante, après leur mort, du travail de création, de conservation et de catalogage effectué tout au long de leur carrière.



 Il va dans ce but collaborer avec de nombreux architectes comme Jean Heams, Gerard Vollenweider mais surtout Mario Jossa, l'associé de Marcel Breuer ce qui donnera une note inéluctable de modernisme au projet. 


Ce dernier repose sur une double tradition, vernaculaire méditerranéenne et antique, propre aux principes de la domus romaine. Les volumes principaux se composent de trois corps de bâtiments aux pièces en enfilade qui enserrent les deux cours. La plus grande des deux s'ouvre sur les ateliers et le grand horizon. Le couple affectionne les architectures simples, aux volumes cubiques variés et assemblés avec harmonie, aux toits en terrasses et aux façades d'une homogène et immaculée blancheur. Les espaces sont en parfaite harmonie avec la nature environnante, les bâtiments solidement ancrés dans le sol grâce à des puissants contreforts. On ressent le souci du détail, l'obsession de la juste mesure. Ils mettront plus de dix ans pour la concevoir. Elle n'est pas le fruit d'un caprice mais bel et bien d'une véritable œuvre d'artistes. Hans Hachtung disait : « La construction fut pour nous une épreuve de force. Mais j'ai tenu bon et notre maison est enfin telle que nous la rêvions. J'en suis fier». 




Deux hectares d'oliviers multi centenaires

D'emblée, c'est le site lui-même qui nous happe, ce patrimoine naturel et végétal qui nous impressionne. Une véritable forêt d'oliviers et de pins répartie sur les deux hectares de la propriété. De leur vivant, les deux artistes avaient l'habitude de récolter les olives à la fin de l'automne et obtenaient des quantités pouvant atteindre jusqu'à cinq tonnes de fruits ramassés ! Ils la convertissaient majoritairement en huile, parfois en savonnettes. En se promenant dans les allées, les points de vue sur les dispositions des oliviers permettent de profiter comme d'un effet cinématographique de travelling avec une grande profondeur de champ et de belles lignes de fuite.







Le patio, coeur de la maison

L'architecture de la villa est marquée par la présence d'un très beau patio doté d'un grand bassin central qui était chauffé l'hiver du vivant des artistes.


 La communication entre les différentes pièces comme les chambres, la cuisine, le living-room, donnant sur cette terrasse, nécessite de passer chaque fois par l'extérieur pour se rendre de l'une à l'autre, tandis qu'un large auvent protège de la pluie et du soleil. Détail surprenant, la niche pour les chiens est incrustée dans la façade ! 



Aujourd'hui, si l'on ne peut pas visiter cette partie privée de la maison, c'est parce qu'elle est devenue, comme le souhaitait le couple, une résidence de chercheurs ou d'artistes. Mais l'on peut tout de même admirer les dalles très lumineuses et la blancheur immaculée de l'ensemble. Au bout de la terrasse, la margelle est volontairement basse pour donner un côté aérien et laisser poindre la cime des oliviers. 


Tout est d'une extrême simplicité sans ostentation aucune, juste un goût affirmé des perspectives. Autour de ce patio, partie haute de la villa, ils vivaient discrètement mais ne travaillaient pas. Les ateliers, volontairement éloignés de ce lieu de vie, se trouvent en contre-bas de la propriété.



Ces deux ateliers se répondent et se complètent de manière symétrique. Chacun des deux artistes, aussi amoureux soient-ils, partagent leur demeure mais pas leur espace créatif par respect mutuel et indépendance. 







L'atelier d'Anna-Eva

A l'Est, celui d'Anna-Eva Bergman, avec son plafond cathédrale, traduit la solitude exigée pour composer ses toiles inspirées par les contrées nordiques. En utilisant la technique des feuilles d'or, elle décline à l'horizontal les thématiques du monde minéral issu du paysage norvégien. Son vocabulaire de forme est profondément ancré dans la mythologie, la nature et les ambiances scandinaves.



 Et les lumières du Sud de son atelier renvoient avec douceur ses souvenirs du Nord. Ici comme dans celui de son époux, les grands vitrages encastrés dans le mur et à la découpe pure évoque celle d'un tableau de paysage sans cadre. Les oliviers s'invitent dans la pièce, curieux de la créativité de l'artiste.



L'atelier du maître de l'abstraction

A l'Ouest, le bâtiment dédié à Hans Hartung se compose de deux espaces : un premier, initialement à ciel ouvert et baptisé atelier d'été et un autre recouvert d'un toit qui deviendra au fil du temps son seul véritable lieu de création. 






Grâce à la Fondation Hartung-Bergman créée en 1994 et après deux ans de travaux de l'ensemble de la demeure, les ateliers ont été réhabilités et nous en permettent la visite privilégiée. Si celle de l'atelier d'Anna-Eva était passionnante nous permettant de découvrir ses œuvres aussi riches que sa vie, celle de l'atelier d'Hans Hachtung est tout simplement émouvante et impressionnante. 



L'ancien studio aéré est devenu aujourd'hui salle d'exposition mettant en avant son abstraction perpétuellement renouvelée, l'atelier « du fond » est une fidèle restitution tel qu'il l'était de son vivant. Tout est resté intact. Les pinceaux, les brosses, mais aussi et de manière plus surprenante, les râteaux, les branches d'olivier, les balais, les sulfateuses de jardin, les pistolets à peinture, son poste radio et ses cassettes, son fauteuil roulant modifié grâce à un ancien siège de voiture. Rien n'a bougé. Les projections de peinture sur les murs, dans un état de conservation incroyable témoignant de sa vigueur et de son énergie, paraissent presque comme des œuvres d'art à part entière, le tout au son des sonates de Bach, un de ses compositeurs préférés. 





Tout cela nous plonge dans son univers créatif et nous fait ressentir au plus profond de nous même la puissance de sa virtuosité, la folie picturale de son geste. C'est ici qu'il passait le plus clair de son temps, surtout après le décès de sa bien-aimée et c'est là qu'il produisait énormément comme pour surmonter sa tristesse. On a presque l'impression de déranger son intimité. Mais c'était sa volonté, la volonté de donner à voir ses secrets de création. 


 






La fondation Hartung-Bergman

La fondation Hartung-Bergman, imaginée de leur vivant par Hans et Anna-Eva, permet de retracer presque au jour le jour l'imbrication de ce processus créatif et de l'existence quotidienne de ce couple de peintres parmi les plus originaux de la période moderne. A travers l'exposition inaugurale « Les archives de la création », nous plongeons dans les confidences de leur vie, de leur production comme dans une sorte de « fabrique » de leurs univers respectifs et communs dans ce cadre somptueux qu'est leur Maison-Mémoire d'Antibes.



 Hans et Anna-Eva ont gardé tout ce qu'ils ont pu de leur parcours, comme leurs journaux intimes de l'adolescence, leurs lettres d'amour et d'adieu, leurs agendas, des cartes postales, des photographies par milliers et milliers de pièces. Le visiteur, qu'il soit historien de l'art, professeur émérite, doctorant ou simple amateur éclairé, a un accès privilégié en un seul lieu aux œuvres des deux artistes certes, mais aussi à toutes leurs traces de vie, des statuettes inuites aux livres dédicacés d'Aimé Césaire en passant par une jambe de bois, des céramiques de Picasso ou un ours en peluche. 







Toutes ces empreintes nous font mieux comprendre l'évolution de leur art et nous font vivre une expérience privilégiée pleinement immersive dans leur trajectoire créative, le tout veillé par les oliviers multicentenaires et le soleil d'Antibes. La discrète Villa blanche du peintre allemand des éclairs et des nuées et de son adorée, la peintre norvégienne des fjords et des feuilles d'or, vit une deuxième fois, grâce à la fondation, sa beauté monacale comme en héritage d'un amour immortel.




Fondation hartung bergman

Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman
173, chemin du Valbosquet
FR-06600 Antibes










Commentaires

  1. Excellent comme d’habitude, une promenade poétique dans la modernité

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