Acte II : Les tribulations corsées de Gisèle en Corse



Avant mon départ pour la Corse, j’avais tellement envie d’y aller que je crois bien avoir idéalisé quelque peu mon périple.
Antoine de Saint-Exupéry m’y enjoignait lui-même déclarant en son temps : « Le soleil a tant fait l’amour à la mer qu’ils ont fini par enfanter la Corse ! ».  Aussi, à chaque fois que j’y pensais, je me voyais détendue sur le pont du bateau, sur une plage abandonnée, le tout sous un ciel bleu azur que rien ne pouvait perturber. Oui mais voilà… En enjolivant le réel, certes l’idéalisation nous sauve de la banalité, mais elle nous expose aussi à de cruelles déceptions !


Le trajet en ferry qui devait être un sas de décompression entre mon travail et mes vacances tant attendues sur l’île de Beauté s’est transformé en une traversée plus que mouvementée où mes voisins de fauteuil au teint verdâtre allaient et venaient pour prendre l’air de la tempête. J’ai su rester digne mais ma frustration n’a fait que grandir lorsque j’ai touché le sol ajaccien… sous la pluie. Pour me remonter le moral, j’ai alors pris quelques minutes pour consulter les prévisions météorologiques : pas de doute, ma première semaine allait être nuageuse et même arrosée plutôt que calme et ensoleillée.


Qu’à cela ne tienne ! Comme disait cette chère comtesse de Ségur : « Après la pluie, le beau temps ! ». La Corse est une île de Beauté avec ou sans ciel bleu et non une utopie mythique à la manière de Babel et j’étais bien disposée à la rencontrer sans fard, naturelle, authentique et vraie.

Filitosa


Une première envie par ce temps gris : découvrir le site préhistorique de Filitosa qui renferme huit mille ans de mystère et d’histoire.


Les ancêtres ne s’y étaient pas trompés ; depuis le Néolithique, ils avaient compris que la Corse serait le berceau d’une culture incomparable et il faut bien avouer que sous un ciel bas, sombre et menaçant, les statues-menhirs anthropomorphes et les torres mystérieuses dégagent une ambiance hors du temps, énigmatique…


De là à croire que j’étais en plein tournage du Hobbit, il n’y avait qu’un pas, pas hasardeux certes et peu tranquille au milieu des oliviers mais pas quand même vers l’esprit corse originel.

Ajaccio
Pour revenir à une autre « civilisation » et faire un peu de shopping, car sous la pluie, c’est la seule activité physique que je connaisse qui puisse remettre le curseur du moral à dix, destination la belle Ajaccio, ville natale de ce cher Napoléon, l’enfant du pays.




Alors cap sur la vieille ville concentrée autour du port et sa rue Fesch, piétonne et animée et bien sûr sur le cours Napoléon (il est décidément partout !) riche de ses jolies boutiques.






Ajaccio est charmante avec ses hautes bâtisses aux façades colorées, sa citadelle, sa cathédrale et sa merveilleuse bibliothèque-musée municipale jouxtant le palais Fesch.


Pour finir, cette escapade « lèche-vitrine », ne pas faillir à la tradition et se récompenser d’une activité éreintante, je m’accorde un petit thé Mariage Frères au Grand Café Napoléon. Forcément. N’en déplaise à Joséphine !





Gorges du Prunelli
Parce que la pluie s’est calmée mais que le ciel reste désespérément gris… une envie de pleine nature m’envahit. L’appel des gorges du Prunelli est une évidence.



A moi la rivière qui cisèle les parois rocheuses ! A moi la montagne et les chèvres sauvages ! A moi le lac Tolla, tel un fjord dans son cirque !

Mais surtout, tel Philippe de Dieuleveult (que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaitre), je veux, toute de rouge vêtue, chasser moi aussi mon trésor : le petit pont génois qu’on traversait naguère pour passer la rivière… perdue au milieu de nulle part.




Il est toujours là, intact, entre châtaigniers, arbousiers et peupliers blancs, fier et modeste à la fois, tenant bon depuis quatre ou cinq siècles quand même ! Respect. Profond respect.
Cargèse
Comme un cadeau des cieux, le soleil est apparu, généreux, enfin disposé semble-t-il à me faire découvrir les splendeurs de l’île sous une nouvelle lumière. Les rayons transforment la beauté de l’île en splendeur.





Je pars immédiatement pour Cargèse, un port de pêche pittoresque et si singulier. Le site est magnifique, il surplombe l’immensité bleue.






Mais ce qui marque les esprits, ce sont ces deux églises qui se font face, l’une autre rite latin, l’autre au rite byzantin. Duel ou gémellité ? Je préfère miser sur la tolérance des convictions.




Cette visite est un délice tout comme la cuisine et l’accueil du restaurant Agula Marina sur le port.




Le patron est pêcheur, son frère est berger et fournit la viande et les fromages et sa fille pétillante est au service. L’équation est une vraie réussite.




Calanche de Piana
Le régal des papilles est à compléter par le régal des yeux : après trente minutes de routes sinueuses, l’émerveillement devant les Calanche de Piana observées depuis le petit village de Piana.





Je manque de mots pour décrire ces vertigineuses calanques, ce paysage minéral sculpté dans le granit rose par le sel et le vent.




Je persiste, les mots ne suffisent pas. Il faut vivre cette expérience, accepter d’avoir le souffle coupé pour comprendre pourquoi ce site est classé patrimoine mondial par l’UNESCO.
Forêt d'Aïtone
Je quitte à regret ce merveilleux spectacle pour m’enfoncer dans l’impénétrable maquis de l’arrière-pays, happée par la vision des sommets enneigés. Je monte, je monte, je monte comme la petite bête. Je roule, je roule, je roule, tel Soprano. Je tourne, je tourne, je tourne pareille à Linda Lemay. Je pile d’un coup car une horde de cochons sauvages a décidé de s’étendre au soleil sur la route.





Et pourquoi pas ! Je reprends et pile de nouveau face à des vaches en liberté cette fois, se prélassant, libres comme Max, sur mon chemin. Tant qu’à faire !



J’aime ce visage sauvage de la Corse. Et après cet interminable et réjouissant périple, j’atteins enfin ma destination secrète : la forêt d’Aïtone où je me sens immédiatement toute petite à côté des immenses pins laricio.


Au cœur de ce joyau vert émeraude, les cascades et les piscines naturelles creusées dans la roche sont si charmantes que j’aimerais les garder rien que pour moi pour m’y baigner jour et nuit. On a cette impression d’unicité hors saison. Sans doute moins l’été venu…



Sartène
Après quelques nuages insolents et persistants, quelques incantations et mélopées, le soleil reprend légitimement ses droits sur l’île. J’en profite pour m’improviser un petit déjeuner à Sartène sur la place de la libération.






D’aucuns disent qu’il s’agit de la plus Corse des villes corses. Je ne suis pas bonne juge mais j’ai ressenti une belle âme dans ce havre de paix aussi minéral qu’authentique.



Bonifacio
Cependant la Génoise n’est qu’une étape, tout mon esprit est happé par l’envie de revoir le joyau, Bonifacio.


Je suis à cet instant semblable à l’enfant qui attend impatiemment la découverte de ses cadeaux au matin de Noël.Et je ne suis pas déçue, au détour d’un énième virage, la cité apparait : fière, imposante mais humble.




Le port se révèle à l’abri du promontoire rocheux. La vieille ville pittoresque à souhait s’impose quant à elle avec grâce à la cime des falaises de calcaire. Là, l’alchimie opère entre le blanc immaculé de la pierre et les cinquante nuances de bleus du ciel et de la mer.



Le vent souffle, balaye, décoiffe, rappelant, fier, qu’il est le maître incontesté de cette ville fortifiée.














Mais dès lors qu’on pénètre dans les ruelles escarpées, on se retrouve à l’abri, protégé des embruns, merci les 2,5 kms de remparts et de nouveau merci les Génois !










A moi donc les boutiques, les bistrots (…) : je conseille notamment l'échoppe "Au petit Bazar" très raffinée et la terrasse de chez Ange, accueillante, stylée mais sans falbala.








Pour terminer cette journée, je m’octroie une sieste sur le sable blanc de la plage réputée de Palombaggia, à l’abri des majestueux pins parasols puis poursuis avec un dernier verre à Porto Vecchio...


Bastia
Pour ne pas perdre le Nord, je mets enfin le cap sur Bastia. Le site est superbe.



Avant de découvrir les trésors de cette ville, je déjeune au Petit Vincent, rue du Dragon, dans le quartier de la Citadelle. Cette adresse est un véritable petit bijou.

Je me réjouis à l’idée de lui consacrer un article entier au mois de juin, c’est promis. Je descends ensuite la fleur au fusil vers le vieux port pour savourer avec délectation l’ambiance de la cité et toute son authenticité.






Le décor y est surprenant, alternant façades aux couleurs acidulées et murs usés, ruinés par le temps. Allégresse versus austérité.



Je remonte vers la petite place du marché pour atteindre l’immense place Saint-Nicolas à l’ombre des platanes et des palmiers.





Le vieux kiosque est entouré de petits Bastiais à vélos, en trottinettes ou faisant simplement virevolter leurs ballons colorés gonflés à l’hélium.


Puis, je zigzague entre le Boulevard Paoli et la rue César Campinchi pour assouvir ma gourmandise de boutiques. In fine, Bastia est une ville septentrionale pleine de saveurs, qui mérite qu’on prenne le temps de l’adorer.


Comme chaque jour, il ne faut jamais se négliger, il me faut un petit bonheur du soir, à la manière du carré de chocolat qui accompagne la tisane, ou la menthe le mojito, selon les goûts… Je m’assieds donc au crépuscule sur les rochers du village d’Erbalunga, le regard perdu dans l’horizon immense.

Erbalunga



 


De Saint-Florent à l'Ile-Rousse
Ma dernière journée me donne l’occasion de visiter la région de la Balagne et de m’exercer à la technique du cabotage mais par les terres car je n’ai pas encore mon permis bateau ! Je choisis mes escales depuis Bastia : Saint-Florent, nichée au fond d’une merveilleuse baie encadrée par les montagnes du Cap Corse ; le désert des Agriates, univers étrange et inhospitalier, d’une rare beauté et parfumé des agréables senteurs de l’île ;


l’Ile Rousse qui baigne dans les eaux turquoises aux nuances époustouflantes ; Calvi enfin, gardée par sa vieille citadelle surplombant une large baie avec pour décor le spectacle hallucinant des sommets enneigés du Monte Cinto !
Calvi





Finalement, j’aurai pu vivre deux semaines de délice corse. Certes, le soleil a joué avec moi me prouvant qu’avec ou sans ses rayons cette terre mérite son titre de Reine de Beauté.




Un ancien aurait dit sans chauvinisme aucun, cela va de soi, « Vivre en Corse présente un seul inconvénient : lorsqu’on vient à mourir et que l’on monte au Paradis… On est déçu ! ». Je le crois sur parole et n’ai pas envie de vérifier cet adage sur le champ.



Que la vie me réserve encore du temps pour revenir et pour découvrir, j’en suis sûre, encore bien d’autres trésors.











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